Par Marc Ansoult – Mars 2021

 La gouvernance de l’information est un concept large et multiforme, auquel on donne parfois des significations très différentes. Il est donc utile de le définir, d’autant que dans le monde des gestionnaires de l’information on connaît bien la nécessité des vocabulaires contrôlés.

La fin de l’État-providence à l’origine du mot gouvernance

En 2012, à l’Université de Sherbrooke au Canada, des chercheurs ont tenté de définir le mot « gouvernance ». L’article* qu’ils ont produit – il contient 37 pages sur le sujet – confirme que le sujet est vaste et tout à fait d’actualité.

D’après ces derniers, c’est à la suite de la crise de l’État-providence, dans les années 1990, que le mot anglais «governance» a été mis à jour par des économistes et politologues anglo-saxons, ainsi que par certaines institutions internationales (ONU, Banque mondiale et FMI, notamment). On se demandait comment les États allaient encore pouvoir payer les pensions et les soins de santé. Dans ce contexte, la gouvernance était définie comme « l’art ou la manière de gouverner les États », et ce avec deux préoccupations particulières :

  • d’une part, bien marquer la distinction avec le gouvernement en tant qu’institution ;
  • d’autre part, promouvoir un nouveau mode de gestion des affaires publiques fondé sur la participation de la société civile à tous les niveaux.

On dira donc que la gouvernance « c’est l’art de gouverner » et que gouverner c’est répondre à la question « comment allons nous faire quelque chose ensemble ? ». Ici, le « quelque chose » fait référence à la gestion de l’État et l’« ensemble » regroupe le gouvernement et la société civile. L’implication de la société civile dans la prise de décision permettra de limiter la résistance au changement lorsqu’il s’agira de mettre de nouvelles décisions en œuvre.

On peut donc dire que l’on parle de gouvernance lorsque l’on rencontre des difficultés. Réfléchir à la gouvernance aboutit à réformer les instances au pouvoir avec une tendance à transférer certaines compétences de l’État vers de nouvelles institutions, souvent privées par ailleurs. Cette réflexion sur la gouvernance existe à tous les niveaux de pouvoir, qu’il s’agisse de la planète avec les Nations Unies, des États, des organisations ou même des projets.

Il en va de même avec l’information qui se gouverne et s’imbrique à toutes les échelles.

La numérisation à l’origine de la gouvernance de l’information

Si la crise de l’État-providence a mis au premier plan le concept de gouvernance des États, la numérisation progressive de nos sociétés – entraînant petit à petit la disparition des pratiques liées au papier – a quant à elle engendré l’apparition du concept de « gouvernance de l’information ». Au début, l’ordinateur a remplacé la machine à écrire, puis la planche à dessin. On lui a adjoint un programme pour optimiser la gestion des stocks, puis un autre pour faciliter la tenue de la comptabilité, et enfin un programme de modélisation et d’optimisation. Puis on a relié les ordinateurs au sein de réseaux locaux pour simplement permettre de partager une imprimante ou un disque dur, et ces réseaux locaux se sont finalement interconnectés.

Aucune de ces étapes successives n’a eu, à elle seule, d’effet transformationnel puissant. Cependant, mises bout-à-bout, et sans qu’il n’y ait eu besoin d’un grand architecte de la transformation digitale, elles ont modelé un monde tout à fait différent d’il y a trente ans. Aujourd’hui, nous vivons dans un monde digitalisé où quasi tout objet, tout service et toute personne a un « digital twin », un avatar numérique.

Tout ceci n’est pas sans impact sur notre société, nos organisations, et les personnes que nous sommes. On ne fait plus toutes ses courses dans les magasins du quartier, les magasins du monde viennent à nous et l’information de l’entreprise comme nos dossiers personnels ont quitté les tiroirs de nos meubles pour rejoindre le cloud.

En conséquence de quoi…

Beaucoup de tâches hier coûteuses en temps et en argent nous semblent aujourd’hui bien plus simples et moins dispendieuses, grâce à la digitalisation. Et pourtant, se pose alors la question existentielle du comment vivre ensemble en société, au travail et en famille, dans ce nouveau monde digitalisé qui semble parfois se jouer de nos données et de nos identités. Se pose aussi la question du « comment allons-nous archiver ce monde là ? » et du « comment pourra-t-on s’en souvenir pour en faire l’Histoire ? »

Ces questions s’accompagnent d’autres, toutes aussi complexes les unes que les autres, telles que : « où sont stockées nos données ? », « à qui appartiennent-elles ? », « qui peut y avoir accès ? », « sont-elles correctement protégées contre le vol et le rançonnage ? », « sont-elles utilisées à notre insu ? » …

Trouver une réponse à toutes ces questions n’est pas chose aisée d’autant que :

  • l’environnement dans lequel ces questions se posent est toujours volatile et incertain ;
  • les moyens financiers à disposition ne sont pas toujours proportionnés au vu de l’enjeu et de la prépondérance des GAFAM ;
  • certaines ressources humaines décrochent au vu de la complexité technologique et juridique ; parfois ce sont des institutions entières qui décrochent ;
  • les objectifs des organisations sont trop souvent court-termistes et liés à des assets qui se retrouvent à leur bilan – donc pas l’information.

Aujourd’hui, seule la mise en place d’une véritable gouvernance de l’information pourrait permettre de répondre aux questions évoquées ci-dessus.

Dans cet ordre d’idées, la question du « Comment allons-nous faire quelque chose ensemble ? » se pose donc désormais en ces termes : « Comment allons-nous gérer l’information avec toutes les parties prenantes ? » ; les parties prenantes étant toutes celles détenant une forme de pouvoir ou d’intérêt lié à l’information.

La constitution informationnelle

La définition de la gouvernance des États donnée par l’Université de Sherbrooke présuppose l’existence d’une constitution qui, dans le cadre d’une démocratie, organise une séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

Si on utilise cette définition de la gouvernance pour définir la gouvernance de l’Information, il faut se rendre à l’évidence qu’il manque aujourd’hui une Constitution Informationnelle.

En matière de gouvernance de l’information, on pourrait, comme pour les États, organiser une Assemblée Constituante rassemblant un large panel de personnes chargées de définir un nouveau cadre institutionnel pour la gestion de l’information qui tiendrait compte de la nouvelle réalité des technologies de l’information. Cette Assemblée Constituante produirait une Constitution Informationnelle dans laquelle on trouverait :

  • la définition de nouvelles instances et par exemple trois instances différentes pour le pilotage, la gestion et le contrôle de l’information ;
  • les règles de fonctionnement interne de ces instances (comment ses membres sont nommés et la durée des mandats) ;
  • les missions et moyens alloués à ces instances.

Une fois ce premier cadre et ces instances mises en place, on peut alors gouverner l’information au sens donné précédemment. Ceci peut se réaliser à l’échelle des nations mais également des organisations.

Gouverner …

La gouvernance de l’information est l’ensemble des règles et des processus collectifs, formalisés ou non, par lequel les acteurs concernés participent à la décision et à la mise en œuvre de la gestion de l’information. Ces règles et ces processus, comme les décisions qui en découlent, sont le résultat d’une négociation constante entre les multiples acteurs impliqués. Cette négociation, en plus d’orienter les décisions et les actions, facilite le partage de la responsabilité entre l’ensemble des acteurs impliqués, possédant chacun une certaine forme de pouvoir.

Les acteurs concernés sont d’abord les instances issues de la Constitution Informationnelle mais également des syndicats représentant les utilisateurs, des experts et des citoyens. Il faut admettre que ceux-ci sont parfois plus à même d’évaluer les besoins réels et de proposer des solutions pertinentes et « contrebalancent » le poids des acteurs institutionnels, pour faire de ces derniers des acteurs « parmi les autres ».

Les décisions ainsi prises pourraient aller dans des sens divers, selon le contexte de chaque organisation, et prévoir par exemple:

  • d’adopter une forme de subsidiarité ; quelle information est gérée à quel niveau ? ;
  • de responsabiliser ou non chaque nation, organisation, département ou chaque service par rapport à la gestion de son information ;
  • de mettre en place de nouveaux systèmes utilisant l’intelligence artificielle tout en suivant des règles éthiques précises.

Si l’étape de l’Assemblée Constituante peut être envisagée comme un projet avec un livrable, l’entreprise des instances de gouvernance vise le long terme et se gère par améliorations continues.

L’ensemble des décisions prises constituent alors la politique informationnelle.

… Puis gérer

Une fois la politique informationnelle définie, la gestion de l’information devra se conformer à cette dernière et aux grands principes qui auront été décidés.

Si les instruments de la gouvernance de l’information sont la table de négociation et les représentations du monde de l’information, ceux de la gestion de l’information sont l’architecture des données et les logiciels.

L’art de gouverner

L’art de gouverner s’applique surtout dans la manière de gérer toutes les parties prenantes. En effet, il est essentiellement question de négocier et de coopérer. Les partenariats qui en découlent entraînent la participation de nombreux acteurs différents ce qui diffuse la responsabilité de la régulation sur cet ensemble large. Et au vu des enjeux – la cybersécurité, la préservation à long terme, la gestion des connaissances, la gestion des contenus, la Business Intelligence, l’intelligence artificielle, les aspects éthiques, la protection des données personnelles et l’Open Data – il est préférable que la responsabilité ne repose pas sur une seule entité ou, pire encore, sur une seule personne.

Tout repose in fine sur l’intelligence collective avec un bon équilibre des pouvoirs, entre ceux qui gèrent nos informations, les experts, les représentants des utilisateurs, le juridique et les instances de contrôle.

Si l’on s’est attardé ici sur la gouvernance des États, des organisations et celle de l’information, il est également utile d’étendre la réflexion au niveau de la gouvernance de soi. Dans son livre intitulé Du JE au NOUS – L’intériorité citoyenne, Thomas d’Ansembourg écrit à ce sujet : « Aujourd’hui, devant les défis que l’humanité rencontre, nous savons que le monde a grand besoin d’hommes et de femmes qui se connaissent bien, qui connaissent les processus de réconciliation intérieure et les pièges de l’ego, qui savent comment développer la confiance en soi, la confiance en l’autre et la confiance en la vie et mettre leur talent au service de la communauté. »

* Les Éditions de L’Homme, ISBN 978-2-7619-3996-6, 2014

 

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